Du squelette, l’os et la peau sur les nerfs,
à croire en l’architecte, tu verras le béton respirer
Des espaces désertés, dont on peut seulement supposer l’ancienne fonction. Peut-être cette grande carte en reliefs fait voir les môles d’un port, parmi les darses en épi. On progresse dans les formes seules, comme si les constructions n’étaient pas destinées à servir. Vide d’êtres parmi le bâti, forme détachée de son usage.
« Il y aurait à saisir, disait un architecte sur le port de Dunkerque, le rapport de sidérugie à sidérer. Et ce que cela représente, d’être l’ouvrier qui passe le balai sur des ponts de cent mètres de long, hauts de trente-cinq»** . À ces hauteurs, on ne distingue plus en contrebas, qui se déplacent sur les quais que d’infimes silhouettes ; l’échelle fait vertige, fascine. La fascination, c’est ce rapport d’immobilisation imposé, qui fige le mouvement, vide la pensée de tout recours. Tanguy de Saint-Seine s’attaque à cela qui arrête, les grandes surfaces muettes qui ravalent à l’insignifiance les agitations de la bestiole humaine, et les rapporte comme un archéologue montrerait les signes d’une société si lointaine dans le temps que son organisation fait énigme.
On sent de la méthode : ici, les lignes, là, saisie du mouvement, une grande ondulation d’écailles pleines, ou creusées, laissant voir des alvéoles ajustées, comme les lignes de plomb encadrent les carreaux de verre du vitrail. Le bois est doux, la forme se donne en échappant, pour elle-même, son long dos.
Puis le monumental s’accote le minuscule, les compositions toutes menues en 3D.
Lignes de structure des chaînes sub-atomiques, contenues en petit dans le bloc de matière, sur lequel l’édifice fragile est posé. Ici, l’œuvre n’est pas distincte de son socle. Le socle n’est pas un socle, qui appartient au monde courant, neutre, celui sur lequel on passe distraitement, « Regarde l’œuvre sur … », il coïncide avec l’objet qu’il distingue. C’est moins qu’un conseil, à peine une suggestion, élégamment posée, peut-être vaudrait-il mieux regarder tout le temps, tout. La matière même où se déroulent les expériences a son intérêt très visible.
Il y a dans ce rapport d’échelle le constat d’un monde, d’un agencement socio-politique, si l’on veut, parfaitement ajustée dans ses jointures, énorme, et dont le monumental même arrête par avance toute gesticulation à son encontre- mais aussi la suggestion d’une direction pour déconstruire : c’est feuille par feuille, atome par atome, que l’on démonte cela même qui enserre. C’est Tanguy qui suggère le ré-assemblage des syllabes du titre de l’exposition : Décadame matonique, ou la décadence (annoncée) du maton. Il reste un poil d’éclatement de l’univocité possible.
Un filet d’espérance dans les fissures du macadam.
Coline Merlot
à croire en l’architecte, tu verras le béton respirer
Des espaces désertés, dont on peut seulement supposer l’ancienne fonction. Peut-être cette grande carte en reliefs fait voir les môles d’un port, parmi les darses en épi. On progresse dans les formes seules, comme si les constructions n’étaient pas destinées à servir. Vide d’êtres parmi le bâti, forme détachée de son usage.
« Il y aurait à saisir, disait un architecte sur le port de Dunkerque, le rapport de sidérugie à sidérer. Et ce que cela représente, d’être l’ouvrier qui passe le balai sur des ponts de cent mètres de long, hauts de trente-cinq»** . À ces hauteurs, on ne distingue plus en contrebas, qui se déplacent sur les quais que d’infimes silhouettes ; l’échelle fait vertige, fascine. La fascination, c’est ce rapport d’immobilisation imposé, qui fige le mouvement, vide la pensée de tout recours. Tanguy de Saint-Seine s’attaque à cela qui arrête, les grandes surfaces muettes qui ravalent à l’insignifiance les agitations de la bestiole humaine, et les rapporte comme un archéologue montrerait les signes d’une société si lointaine dans le temps que son organisation fait énigme.
On sent de la méthode : ici, les lignes, là, saisie du mouvement, une grande ondulation d’écailles pleines, ou creusées, laissant voir des alvéoles ajustées, comme les lignes de plomb encadrent les carreaux de verre du vitrail. Le bois est doux, la forme se donne en échappant, pour elle-même, son long dos.
Puis le monumental s’accote le minuscule, les compositions toutes menues en 3D.
Lignes de structure des chaînes sub-atomiques, contenues en petit dans le bloc de matière, sur lequel l’édifice fragile est posé. Ici, l’œuvre n’est pas distincte de son socle. Le socle n’est pas un socle, qui appartient au monde courant, neutre, celui sur lequel on passe distraitement, « Regarde l’œuvre sur … », il coïncide avec l’objet qu’il distingue. C’est moins qu’un conseil, à peine une suggestion, élégamment posée, peut-être vaudrait-il mieux regarder tout le temps, tout. La matière même où se déroulent les expériences a son intérêt très visible.
Il y a dans ce rapport d’échelle le constat d’un monde, d’un agencement socio-politique, si l’on veut, parfaitement ajustée dans ses jointures, énorme, et dont le monumental même arrête par avance toute gesticulation à son encontre- mais aussi la suggestion d’une direction pour déconstruire : c’est feuille par feuille, atome par atome, que l’on démonte cela même qui enserre. C’est Tanguy qui suggère le ré-assemblage des syllabes du titre de l’exposition : Décadame matonique, ou la décadence (annoncée) du maton. Il reste un poil d’éclatement de l’univocité possible.
Un filet d’espérance dans les fissures du macadam.
Coline Merlot